Marie Docher rappelle ce qu’a été vraiment l’épisode du «mariage pour tous» : un moment de violence et d’injure sans limites. Cette photographe de cinquante ans, qui vit avec une femme et le fils de cette dernière, né par procréation médicalement assisté, a mis en mots sensibles et en belles images (présentées, pour certaines d’entre elles, au Mois de la photo à Paris en novembre) ce qu’elle a entendu sur elle et sur sa famille. Elle relate comment elle a été touchée dans sa chair, mise en accusation pour la manière dont elle menait sa vie – banalement, croyait-elle. Son journal est alors celui d’une découverte : les insultes qu’elle a ressenties si intensément n’étaient que celles qui l’avaient forgée, libérées de toute entrave. Comme le montre le dialogue entre les années 2010 et son passé, elle a retrouvé, décuplée, la violence qui avait fait d’elle «une Indien d’Amérique». Le mariage pour tous n’a été qu’un rappel à l’ordre de plus ; il s’est dit (très) haut et (très) fort des discours homophobes qu’elle connaissait déjà et auxquels des institutions – Manif pour tous, Église catholique, partis politiques (gauche comprise) – et intellectuels ont donné une grande résonnance. Pour Marie Docher, c’est le moment d’une prise de conscience et d’une prise de parole, qui mène à l’écriture de ce livre (joliment préfacé par la critique Élisabeth Lebovici). Elle découvre ce qu’être minoritaire veut dire, longtemps après avoir commencé à le subir, après avoir «tout fait pour satisfaire l’insatiable norme». Et choisit d’affirmer son appartenance minoritaire, de la revendiquer et d’inscrire ses pas dans une histoire collective : «j’ai eu la sensation de me réveiller d’une longue nuit. (…) Mon privé est devenu politique».