Passionnant essai sur la condition féminine en Iran
A partir d’une phrase de la députée islamiste Fatemah Alia énoncée en 2008, proclamant vouloir renommer une certaine rue Simone de Beauvoir à Téhéran, plongeant in-extremis dans une confusion digne des plus belles erreurs sur la personne, l’autrice saisit la symbolique de cette mémoire défaillante et accusatrice, et retrace les quarante dernières années de l’Iran à travers le prisme de la femme.
« Des années plus tard, à travers mon étude de l’islamisme et des rapports sociaux de sexe, je cernai mieux cet avertissement. Il révélait la grotesque contradiction qui imbibait les actes et propos de la gauche iranienne : les codes et les règles qu’elle valorisait dans le domaine des relations femmes-hommes contredisaient en tout point son affirmation de l’égalité des sexes et ses revendications de libération des femmes, de leur émancipation de traditions millénaires inégalitaires. Ainsi, elle incitait vivement à une camaraderie révolutionnaire où les femmes devaient dépasser des frontières sexuées au profit de la cause commune, où filles et garçons devaient apprendre à se voir comme des égaux luttant côte à côte pour un société juste. Mais tout se passait comme si la participation même des femmes mettait en péril ce projet, comme si notre présence allait réveiller le démon du désir sexuel et étouffer l’ardeur du combat politique. »
Chahla Chafiq, écrivaine et sociologue iranienne, exilée en France depuis 1982 après avoir fui le régime en place, rappelle comment en 1978, l’ayatollah Khomeiny appelait les femmes à revêtir le voile dans les lieux publics, au lieu de quoi les iraniennes investissaient la rue dans plusieurs grandes villes du pays. Leur démarches a été soutenue dans le monde entier, et notamment en France par Simone de Beauvoir, qui n’y mettra jamais les pieds, et qui d’ailleurs faisait à peine sourciller à l’époque.
Nous découvrons ainsi la posture des femmes et les rapports de mixité avant la révolution islamique de 1979, l’évolution du statut de la femme dans le pays depuis cet épisode charnière, et en filigrane le rapport aux écrits de Simone de Beauvoir dans les milieux intellectuels et universitaires de gauche de l’époque, voire plus largement le rapport au féminisme. Puis, plus tard, quel retentissement a eu la première traduction du Deuxième sexe en persan en 1991. Et aujourd’hui, quelle place occupe la philosophe pour susciter une telle méfiance des autorités.
Chalha Chafiq retrace, prend la mesure, observe, les pensées, opinions et postures, leurs évolutions au fil du temps, recontextualisant et explicitant les significations, les enjeux, les contradictions, permettant ainsi d’appréhender de façon globale l’histoire de l’Iran dans toute sa complexité.
Nous apprenons énormément de choses dans cet essai, sur les rapports femmes-hommes bien sûr, mais aussi le rapport à la religion, le rapport à l’occident. Un essai très riche qui multiplie les sources et les points de vue, politiques, journalistes, militants, blogueurs, citoyens lambda, auxquels Chahla Chafiq intègre ses propres réflexions et questionnements.
Une fenêtre ouverte sur l’Iran, un incontournable pour mieux comprendre ce pays et plus globalement l’évolution de notre monde.