État des lieux : c’est l’expression qui signe un déménagement ou un emménagement, un moment de rupture dans la vie, où on a envie de « faire le point ». État des lieux, c’est une écriture voyageuse qui fait l’inventaire des lieux où a vécu Éliane Viennot, où elle est passée, dont elle a rêvé. Ces lieux, elle a choisi de les présenter dans l’ordre alphabétique (choisi en 1975 dans le Roland Barthes par Roland Barthes et, plus récemment, par Gwenaëlle Aubry dans le livre sur son père, Personne, 2009). L’alphabet est ce « degré zéro de l’ordre » qui permet de construire son dictionnaire personnel ; c’est aussi un moyen de se libérer de la chronologie, d’autant que les textes, moments de vie racontés au présent et à la première personne, s’ancrent tous dans un lieu particulier.
L’ouverture est abrupte. On entre de plain-pied dans un récit – « Il fait chaud. Il fait chaud comme je n’ai jamais eu chaud » : nous sommes à Agadir… Accrochée à l’ordre alphabétique des lieux que nous sommes invités à visiter, la construction temporelle est discontinue : c’est au lecteur, s’il en a envie, de situer chaque fragment dans la « ligne de vie » (enfance, adolescence, jeunesse, maturité…) et de rétablir s’il le souhaite une chronologique à partir d’indices et d’allusions dispersés dans chacun des « lieux ».
Puzzle de lieux, puzzle d’instants de vie : rédigés sans autre support que la mémoire, ces vingt-six récits se lisent comme autant de nouvelles (écrites, d’ailleurs, à des époques différentes), chaque « lieu » formant un récit autonome ; les liens intertextuels se créent au fur et à mesure de la lecture. Lieux de la vie quotidienne – villes, rues, maisons –, de vacances, de travail, de rêve ou de cauchemar ; on voyage à travers les pays (Maroc, États-Unis d’Amérique, Grèce, Égypte, Mexique…). Mais certains lieux n’ont pas de localisation précise, ce sont des lieux imaginaires (« Enfer : un lieu où je n’irai pas »), d’autres sont plus secrets (« Where », lieu de l’intimité et de la pudeur…). « Usson » retrace un épisode de la vie de Marguerite de Valois, « Voiron » entrouvre un mystère autour de la naissance de la mère de la narratrice. Et « Hollywood » : le scénario désopilant d’un film d’amour sur Gepetto le chat… État des lieux est une géo-poétique de l’autobiographie.
Éliane Viennot est professeure de littérature française de la Renaissance à l’université Jean Monnet (Saint-Étienne), et membre de l’Institut universitaire de France. Elle a publié La France, les femmes et le pouvoir(Perrin, 2 vol), I. L’invention de la loi salique, Ve-XVIe s. (2006) ; II. Les résistances de la société, XVIIe-XVIIIe s. (2008). Elle a également publié Marguerite de Valois. Histoire d’une femme, histoire d’un mythe (Payot, 1993) et Marguerite de Valois. Mémoires et Discours (P. U. de Saint-Étienne, coll. « La Cité des Dames, 2004). Elle est vice-présidente (et co-fondatrice) de l’Institut Émilie du Châtelet.
Association pour l’autobiographie et le patrimoine autobiographique