Le livre d’Anaïs Bohuon sur les tests de féminité dans le sport de haut niveau tombe à point nommé. Non seulement sa publication précède de peu la tenue des jeux Olympiques de Londres, mais il évoque un sujet qui fait de plus en plus débat dans nos sociétés : absolu du sexe ou relativité du genre ? Et le contexte sportif est un excellent moyen de se rendre compte de la violence symbolique qu’engendrent les normes sexuelles.
L’ouvrage est une recherche historique qui contient une grande part de questionnement philosophique et sociologique, c’est pourquoi on ne peut le réduire à un livre sur le sport. En effet, la domination masculine qui s’exerce dans ce milieu en prônant des valeurs de « virilisation » et le rejet de la singularité sexuelle de quelques individus ne sont pas étrangers à ce que vit l’ensemble de la société.
Comment des femmes peuvent-elles être compétitives sur le modèle des hommes tout en gardant la grâce d’une féminité définie par le seul point de vue des hommes ? N’a-t-on pas ce même questionnement dans le monde politique ou dans l’entreprise dès qu’une femme est gagnante ? Il y a donc un effet loupe avec le monde du sport.
L’auteur fait le rappel historique de tests de féminité qui ont été mis en place dans les années 60 par les instances sportives internationales dans le but d’empêcher toute tricherie. Ils ont d’abord été gynécologiques, puis chromosomiques et maintenant hormonaux. Ils sont intervenus dans un contexte de guerre froide qui faisait des athlètes communistes des sportifs douteux, soumis à l’impératif de la victoire. Malheureusement, dans cette obsession de la tricherie, on a exclu des personnes qui n’étaient pas tout à fait dans la norme. En effet, dans le sport comme dans la société, les catégories « Homme » et « Femme » ne sont guère étanches et bien des individus peuvent apparaître ambigus.
La dernière athlète en date à avoir payé le prix fort de cet ostracisme a été la coureuse sud-africaine Caster Semenya, qui fut humiliée en étant privée de titre mondial – car on retire ses médailles à l’athlète intersexe, tricheuse malgré soi… – et, surtout, en voyant son intimité sexuelle être révélée au monde entier. Depuis, les instances sportives ont été sensibilisées au problème, rappelées à l’ordre par l’ONU même, réintégrant notamment la coureuse sud-africaine. Mais sans pour autant renoncer aux tests de féminité – même s’ils se feront avec plus de respect et de confidentialité –, au mépris du corps naturel puisqu’il s’agit toujours de promouvoir des corps normés d’hommes et surtout de femmes (voir l’article récent d’Anaïs Bohuon, « Aux JO de Londres, une police de la testostérone… chez les femmes » dans Mediapart).
Que les députés droitiers opposés à tout enseignement de la notion de genre au lycée lisent ce livre, qui leur montrera qu’il y a bien une réalité qu’il importe de ne pas nier. Mais l’on pense aussi à quelques féministes – Sylviane Agacinski et Nancy Huston, notamment – qui s’inquiètent de voir disparaître la catégorie Femme sous la « loi du genre », car penser la différence, la marginalité, ne peut que nous amener à mieux comprendre la difficulté qu’il y a à se construire en tant qu’individu sexuel, cela quels que soient nos organes, apparents et parfois moins, quel que soit notre désir ou nos désirs. Nous n’avons pas sans cesse à définir la norme – qui n’est qu’une manière de nous rassurer – mais à appréhender le réel pour être plus juste avec les autres mais aussi avec soi-même (sommes-nous si sûrs d’être ce que nous sommes ?).
Quoi qu’il en soit, comme le souligne l’auteur, le grand paradoxe du sport est de préférer des corps artificiels à des corps naturels, et la norme est artificielle, elle sculpte parfois au bistouri des corps qu’il s’agit de sexualiser strictement.