En finir avec le “masculin générique” et autres fariboles du “masculin valant neutre”
Dans un premier chapitre, Un pays prisonnier de ses mythes, Eliane Viennot aborde le préambule de la Constitution de la IVe République, la Déclaration des droits de 1789, les choix d’une écriture particulière pour désigner des personnes humaines ou des êtres humains. « En 1946, autrement dit, homme ne signifie pas femme aussi. Et Homme pas davantage, d’autant que l’idée de la majuscule n’a pas encore germé ».
Universal Declaration of Human Rights et non droits de l’homme dans sa version francophone.
D’une république à une autre, l’autrice nous parle de l’effacement délibérée de « toute trace de la terminologie innovante » par les juristes autour de Charles De Gaulle, de la disparition des femmes, d’un texte « entièrement conduit au masculin ».
Dans cet ouvrage érudit, mais écrit en langue commune, Eliane Viennot discute des croyances acquises, des adeptes de la domination masculine, d’histoire et d’étymologie de mots, du terme homme et de son impossibilité à désigner l’ensemble des êtres humains, de la langue latine et de la construction de la langue française, « Mais ce sont aussi, dans les groupes humains hautement organisés, les maitres de la parole publique qui interviennent sur la langue », du changement linguistique à la fin du XIIe siècle.
L’autrice aborde la machine à fabriquer des experts, la clergie, les appauvrissements lexicaux, la re-latinisation énergique du vocabulaire, la complexification orthographique, la disparition du pronom personnel féminin complémentaire d’objet indirect, la disparition du pronom personnel neutre sujet. Elle analyse ces mutations, « seuls les hommes chrétiens en tirent avantage », la mise des femmes « hors sujet », celles et ceux qui ne font pas partie du « nous », la cécité des Lumières, les fonctions animales « laissées » aux femmes, l’insistance sur la différence, « Hommes, citoyens, individus, chefs de famille sont des sortes des synonymes – dont aucun n’inclut femme », celles qui devraient faire le bonheur des hommes mais ne peuvent être citoyennes.
Eliane Viennot souligne des voix discordantes, Nicolas de Condorcet, « elles font comme eux partie de cette humanité dont ils se croient les seuls représentants », Etta Palm et son discours sur l’Injustice des lois, Olympe de Gouges et sa Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne.
L’autrice poursuit le Code Napoléon, la supériorité des mâles, les scientifiques misogynes, tous les défenseurs de cette idéologie « qui n’admet pas que les « droits de l’homme » soient aussi ceux « de la femme » ».
Comment s’est installée cette imposture ? Avec humour, Eliane Viennot revient sur les deux récits de la création dans la Bible, l’adaptation des traductions au service des intérêts des uns, les premiers pas dans les dictionnaires, l’idée que les hommes relèveraient du général et les femmes du particulier, le diktat de l’Académie et l’évitement du mot femme, « Pas de première femme, ni de femmes illustres, ni de femmes d’esprit, ni de femme de tête », le mot sexe, la désignation de l’espèce humaine par le mot homme, « Elle vise à modifier l’idée qu’on se fait de cette espèce. Ce qui passe, ces hommes le sentent bien, par un changement du sens des mots », les versants lexicaux de cette mise à mâle de la langue.
Tout cela ne supprime pas les ambiguïtés, les tensions, les contradictions. Car si le mot homme désigne aussi les femmes… « Les hommes ont des droits, des possibilités, des privilèges, des opportunités que les femmes n’ont pas. Si l’on admet l’idée que les femmes sont des hommes, alors il faut s’attendre à voir contester les dispositifs élaborés pour les empêcher de parvenir dans les fameux territoires réservés ». Des féministes tentent de mettre les décideurs face à leur contradiction. « Ce stratagème perdurera jusqu’à l’ouverture de la citoyenneté aux femmes, conjointement à la stratégie inverse, qui dénonce l’imposture de la définition ».
Je souligne particulièrement les argumentations développées dans les deux derniers chapitres : « Le temps des impostures envers et contre tout » et « Quant à croire à cette fable… ». Les femmes ont acquis des droits par leurs luttes, « chaque avancée doit être arrachée sur les bancs du Parlement ». La bataille linguistique se poursuit, l’Académie se fait le défenseur (elle ne saurait être une défenseuse !) de la masculinisation de la langue, du statu quo favorable aux hommes. Pourtant les mots existent déjà, la réalité sociale et politique est autre. Certains sont bien employés, d’autres renaitront d’une longue mise au placard ou à la remise. Nouveau paravent, puis vint la Majuscule contre le mot être humain. Une invention en forme de cache-sexe et une fantasmagorie d’un mot homme au sens différent de celui de Homme. Cela peut conduire à bien des surprises : « Woman rights are human rights » traduit « virilement » par « Les droits des femmes sont des droits de l’homme ». Pour rire un peu plus, l’autrice cite une perle dans un document de 1998 : les « droits de l’homme de la femme »…
Les militantes du MLF disaient « Un homme sur deux est une femme » pour souligner « l’absurdité de la tartufferie construite sur ce mot ». Des terminologies plus exactes sont adoptées dans de nombreux pays. Le caractère soi-disant générique du mot homme est une fable, [homme (avec ou sans majuscule) ne peut signifier femme], une version dérisoire (mais aux effets puissants) d’un mauvais bal linguistique, un refus de l’inclusion de toustes comme membres de l’humanité.
Il convient de réserver le mot homme, comme beaucoup le font déjà, « aux individus identifiés comme tels » (être humain adulte de sexe masculin), récuser « les autres infléchissements sexistes infligés à la langue française », adopter « un langage égalitaire ou inclusif ». Et nous possédons déjà « les noms, les pronoms, les accords, les procédés », nous pourrons éventuellement en inventer d’autres.
L’autrice termine avec une nouvelle pointe d’humour : « Espérons que dans un siècle ou deux, l’Académie (qui existera probablement encore, puisqu’elle vit des deniers publics et de la complaisance du pouvoir) acceptera d’inscrire quelque part dans l’entrée Homme de son dictionnaire : « Etre humain de l’un ou l’autre sexe : ne se dit plus » ».