Dans Cyborg philosophie (Seuil, 2011), Thierry Hoquet proposait d’adopter un pronom indéterminé : « ille » (« illes » au pluriel). Mais, entre-temps, il y eut La Manif pour tous : le différend qui séparait tenants des multiples variations culturelles entre le masculin et le féminin et défenseurs de la « nature » censée constituer un fondement intangible s’est mué en gouffre…
Désormais, pour se faire entendre, il convient d’innover. Brillant philosophe des sciences naturelles, Thierry Hoquet opte donc, dans Sexus nullus, ou l’égalité, pour la forme assez inattendue du conte philosophique.
Plus question de fondre masculin et féminin : c’est une idée plus simple mais nettement plus révolutionnaire qu’y défend un certain Ulysse Riveneuve, parfait quidam devenu candidat à la présidentielle avec pour seul programme la suppression de toute mention du sexe à l’état civil. Une telle proposition ne manque pas d’agiter les esprits. Rien de très étonnant de la part du « Parti pour tous », issu des manifestations du même nom. Mais le Parti socialiste lui-même, qui ne jure que par la parité, crie au loup : sans mention de sexe, comment défendre les droits des femmes ? A leur tour, les féministes attachées à la spécificité de leur sexe et les homosexuels « virilistes » jugent une telle proposition des plus dangereuses pour des raisons (on s’en doute) incompatibles et néanmoins convergentes…
Craintes infondées
La proposition d’Ulysse Riveneuve repose sur un argument principal, désarmant au premier abord, à savoir que la mention du sexe ne sert tout simplement à rien… Confronté à ce candidat incongru, les juristes doivent ainsi admettre que le marquage sexué, s’il avait un intérêt à l’époque où les femmes ne votaient pas ou que les hommes étaient astreints à la conscription, pourrait être effacé sans que rien ne change. Rien, si ce n’est une simplification administrative. A long terme toutefois, un tel effacement assurerait cette égalité que la parité ne peut garantir, puisqu’elle se contente de corriger les écarts inévitablement induits par la distinction entre hommes et femmes. A ceux qui lui opposent l’ignorance des faits « naturels » ou le risque d’indifférenciation entre les individus, Riveneuve répond que de telles craintes sont infondées. Chacun naîtra bien pourvu d’un sexe. Au moins n’y sera-t-il plus assigné.
Que l’on pense aux distinctions de race, autrefois obsédantes : de ces données biologiques, nous nous gardons bien à présent de déduire la moindre valeur symbolique. Pourquoi, dès lors, ne pas en faire de même en matière de sexes ? Seuls y trouveraient à redire les psychanalystes et les religieux de tout poil – que l’on croyait attachés à l’âme, mais en réalité obsédés par le sexe. Renvoyons-les, avec Riveneuve, à saint Augustin, qui rappelait qu’en l’esprit de l’être humain, fait à l’image de Dieu, « sexus nullus est » – « Il n’est point de sexe ».