Sandrine Goldschmidt

Dans cet ouvrage indispensable, Catherine Le Magueresse, docteure en droit, pose des questions cruciales et propose des solutions concrètes pour adapter notre droit à une exigence de justice pour les femmes victimes de viols.

En examinant comment notre droit traite du consentement dans sa définition des violences sexuelles, l’autrice, ancienne présidente de l’AVFT (1), nous éclaire à la fois sur les pièges du droit et du consentement lui-même. Aujourd’hui, tout le monde affirme que « le consentement » est l’apha et l’omega de la liberté sexuelle. Alors qu’en droit patriarcal, les femmes sont présumées consentir, et le non-consentement n’est pas pris en compte.

En faisant un historique de l’évolution du code pénal et de la jurisprudence, elle démontre en effet qu’en réalité, « La présomption de consentement est une fiction légale et culturelle qui dispense celui qui initie un contact sexuel de s’assurer du consentement effectif – voire du désir- de l’autre » (p.50).  Pour que le viol soit condamné, la condition n’est pas que la victime ait dit non. Il faut encore que le viol soit caractérisé par la violence, la menace, la contrainte ou la surprise (VCMS), laissés à l’interprétation des magistrat·es(2).

Elle nous fait ainsi réaliser que le droit, malgré des tentatives d’amélioration dans les dernières décennies, condamne en réalité d’autant moins les agresseurs qu’ils s’en sont pris à une personne vulnérable. « Les personnes les plus fragiles (…) les plus susceptibles de « céder » sont dès lors les moins protégées, car contre elles, l’agresseur n’a pas besoin d’user de VCMS, il lui suffit d’exploiter leur vulnérabilité » (p88).

Céder n’est pas consentir

Avant de proposer des pistes de réécriture du droit pénal, Catherine Le Magueresse, examine les « pièges » du consentement, à travers les apports féministes et juridiques qui les ont pointés. Le piège libéral -celui du « contrat », et le piège du consentement des personnes opprimées ». En effet, « céder » n’est pas consentir », disait l’anthropologue Nicole-Claude Mathieu, interrogeant la possibilité des opprimé·es, qui ne sont pas reconnu·es comme sujets, de consentir. Muriel Fabre-Magnan, professeure de droit, dont nous avions apprécié l’ouvrage « L’institution de la liberté », rappelle de son côté que « le libre choix revendiqué comme justification de l’atteinte à la liberté et à l’intégrité de sa propre personne » ne peut pas être assimilé à la liberté.

Mais si le consentement comporte de tels pièges, et que « le refus des femmes n’est pas en soi, suffisant », comme le souligne Catherine Mac Kinnon, féministe états-unienne, pourquoi alors ne pas vouloir, comme elle, redéfinir entièrement le viol et se passer de la notion de consentement ? En réalité, souligne Catherine Le Magueresse, même en redéfinissant le viol comme « une invasion physique de nature sexuelle dans un contexte de menace ou de recours à la force, la tromperie, la coercition, l’enlèvement, ou bien par abus de pouvoir, de confiance, ou d’une situation de dépendant ou de vulnérabilité », Mc Kinnon n’évite pas le problème de l’interprétation de chaque notion, et ne résout pas le problème du viol sans force ni contrainte.

Exemples internationaux, mineur·es

Elle fait donc des propositions pour réécrire notre droit pénal et mettre la France en conformité avec les recommandations internationales. Pour cela, elle regarde du côté de deux pays qui ont fait des avancées certaines en la matière. Le Canada, pionnier, qui dès 1992 a défini le consentement comme « accord volontaire du plaignant à l’activité sexuelle, permanent et extériorisé de façon à être explicite.  ». C’est au tribunal de rechercher comment l’auteur présumé de l’infraction a voulu « s’assurer par des mesures raisonnables » du consentement de l’autre.

La Suède, a modifié plus récemment sa définition pénale du viol. La loi suédoise place l’absence de consentement au cœur de l’infraction, exige de recueillir un consentement explicite, supprime l’obligation de prouver qu’une forme de violence a été exercée, et crée une infraction de viol par négligence (sans intention de violer). Dans les faits, deux ans après le vote de la loi, le nombre de condamnations pour viol en Suède a augmenté de 75% (alors qu’en France ces dernières années il a diminué de 40%).

L’autrice examine enfin le sujet des mineur·es, que le droit français ne protège pas plus -ou presque que les majeur·es. Elle recommande de poser un interdit légal de sexualité entre adulte et mineur·e de 15 ans, 18 ans en cas d’inceste. Enfin, elle souhaite écarter la possibilité pour les hommes de se défendre au titre du « ils ne pensaient pas qu’elle était mineure » en posant un interdit légal explicite.

En conclusion, Catherine Le Magueresse n’oublie pas rappeler que la réforme du droit, si elle est une piste essentielle, doit aussi s’accompagner de mesures d’éducation et sensibilisation, pour faire changer les mentalités.

 

Les pièges du consentement, pour une redéfinition pénale du consentement sexuel, Catherine Le Magueresse, Editions IXe, mars 2021

(1)Association contre les violences faites aux femmes au travail

(2)La définition du viol en France est « tout acte de pénétration sexuelle commis avec violence, contrainte, menace ou surprise »